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Des photos, des moments de vie, des lectures, des émotions, ma vie ou ce que je veux bien en dévoiler. Permettez moi de partager avec vous.

Le coeur qui cogne Yves Navarre. Mon coup de coeur du jour le 17 Mai 2010

Le Coeur qui cogne (1974 et 1980)

Roman publié aux éditions Flammarion, puis au Livre de poche en 1980.

L’édition de 1980 est illustrée d’un tableau de Claude Monet représentant Vétheuil au soleil couchant. C’est précisément à Vétheuil que les Navarre possédaient une maison de campagne.

Quatrième de couverture de l'édition du Livre de poche

Douze ans après la mort du fils aîné, parents, enfants et petits-enfants Dauzan se retrouvent au Rivier, la maison familiale qui fut le théâtre de leur bonheur... avant. Au jeu des tendresses que chacun veut croire possibles encore, tous se heurtent, s'évitent, se rejoignent avec tant d'espoir mais aussi tant de maladresse que, parfois, le coeur cogne à faire très mal.
Le Cœur qui cogne est un roman tendu, émouvant. chaque phrase, chaque mot est à sa manière un indicible et farouche appel au secours. on y retrouvera toute la violence contenue, la passion et la sensibilité des romans d’Yves Navarre. La tendresse, ici, est un hasard à double tranchant.

Extrait

Chapitre 21

DESSERT. Voici le sabayon, le classique préféré de Denise. Les jours de sabayon, Jacques passait •toujours avant le repas à la cuisine. Denise riait, riait. Elle avait caché le dessert sous clef, et Jacques la taquinait, la chatouillait. Et quand il trouvait la clef et la cachette, Jacques mangeait le sabayon tout entier et partait en promenade pour le restant de la journée. Denise improvisait alors un autre dessert. « Mais où est Jacques ? Vous aviez préparé un sabayon, Denise. » Et Denise rougissait.

Motif des assiettes: deux pigeons s'aimaient d'amour tendre. Un feuillage en couronne et deux pigeons qui se donnent la becquée. En médaillon, l'envol du pigeon seul, amoureux. Ce soir, Jacques n'a pas volé le sabayon. Mme Dauzan, instinctivement, remet le col de sa robe en place. « Vous ne dites rien, murmure-t-elle, mais pourtant, nous avons tant et tant de choses à nous dire ! » Elle sourit en se servant. « Peut-être n'avons-nous à échanger que des souvenirs. Ainsi, ce sabayon... » M. Dauzan pose sa serviette sur la table. « Clara, je vous en prie. » Un instant, il a donné l'impression qu'il allait quitter la table. Joseph débouche une bouteille de champagne. M. Dauzan a vouvoyé son épouse. Antoine a dit « vous » à Clara. Sylvie, étonnée, interroge Pierre du regard. Françoise, troublée, remet une chandelle d'aplomb. Gérard allume une cigarette, puis l’éteint nerveusement. Mme Dauzan sourit, très doucement. « Ainsi, ce sabayon est un souvenir. Pourquoi ne pas le dire ? Antoine, je n'ai pas honte de le dire. » Denise fait le tour de la table. Chacun se sert. Puis, Mme Dauzan prend une petite cuillère d'argent. On l'observe. Elle le sait. On l'attend. « Eh bien, dit-elle, cette robe bleue et le sabayon. Deux souvenirs. Je n'ai pas peur. » Elle lève sa coupe. « Le champagne est servi, il faut le boire. Comme un alcool trop fort, à petites gorgées. » Sa voix devient sourde et lointaine. Denise et Joseph quittent la salle à manger. Joseph referme la porte précautionneusement. « Buvons ! Sylvie ? Pierre ? Allons, Françoise. Et vous, Gérard. tchin-tchin ? Xavier ? Vous ne souriez plus, pourquoi ? Et vous, Antoine, Vous. Puisque désormais vous me dites vous comme au temps de nos fiançailles ? » La voix de Mme Dauzan s'est éteinte. Elle porte la coupe à ses lèvres, la repose sur la table, reprend la petite cuillère d argent et goûte le sabayon. « Eh bien, qu’attendez-vous, ce serait la première fois que vous n’en mangeriez pas »

« Vous n'auriez pas dû, Denise, c'était une mauvaise idée. - C'est une idée de M. Dauzan, Joseph. - Comment s'écrit sabayon ? » demande Heidi. Elle prend des notes. Elle a posé sur la table de l'office un carnet et un crayon. « Oh ! ce mot-là, mademoiselle, vous n'aurez pas à l'utiliser très souvent. »

« J'ai visité un musée avec toi, Pierre, et ton frère. A Londres. Te souviens-tu ? J'étais venue vous chercher. Vous aviez passé l'été à Lancing. Au Collège. » Mme Dauzan s'essuie les lèvres délicatement. Boit une gorgée de champagne. Sa voix est redevenue claire. « Nous avions passé deux jours à Londres, et je vous avais traînés dans tous les musées. Tous. Je crois que vous n n’aimiez pas ça. Enfin toi. tu ne disais rien. » Silence. Rideaux tirés, pas un souffle d’air, les chandelles ont brûlé de moitié. M. Dauzan n’a pas goûté le dessert. Gérard offre une cigarette à Françoise qui la refuse. « Même ce musée d'artisanat. Il y avait des boîtes à musique, des automates, des personnages de cire, et surtout ces petits théâtres miniatures. On mettait un penny, on regardait, comme avec des jumelles, et ça s'animait. Tu te souviens, Pierre ? » Pierre sourit. « J’en ai conservé un souvenir très précis. C'est curieux. Je me souviens très peu du British Museum, un peu mieux de la Tate Gallery, mais ces petits théâtres, je ne les ai pas oubliés. Je les trouvais charmants. » Silence. M. Dauzan pose de nouveau sa serviette près de son assiette. Il va quitter la table. Mais Joseph revient, une bouteille de champagne à la main. Il passe de nouveau autour de la table. M. Dauzan fait tourner légèrement sa chaise, s'installe latéralement. Il tourne un peu le dos à Françoise. Il baisse la tête. Il se cache. Mme Dauzan poursuit imperturbablement. « Les décors étaient minuscules. Très simples. Entièrement découpés dans des papiers et des cartons légers. Dès qu'on mettait le penny, ça s'allumait. Il y avait des scènes très jolies. Te souviens-tu, Pierre ? » Pierre sourit. « C'était si peu de chose, mais tellement bien fait ! Pas un détail ne manquait. Ainsi voyait-on dans l'un des petits théâtres une carmélite dans sa cellule. La porte, le bouton électrique près de la porte. Le lit, entouré d'un rideau. Une table, une chaise, un crucifix. Une ampoule électrique qui pendait au plafond. En fait, c'était une toute, toute petite perle au bout d'un fil. Et la carmélite près de la fenêtre, en train de lire un livre de prières. On se disait vraiment, c'est peu de chose pour un penny. Et puis brusquement, le crucifix tombait. La lumière s'éteignait. » Sourires. « Nous sommes restés un long moment à regarder tous les petits théâtres. Je ne pouvais. plus vous en détacher. Dis-moi, Pierre, que tu t'en souviens. - Très. bien, maman. C'était... - Et le couple assis près du feu, te le rappelles-tu ? On se disait tiens, un couple près du feu. Il lit le journal. Elle tricote. On se disait qu'est-ce qui va se passer ? L'horloge sur la cheminée ? Le vase de fleurs sur le guéridon ? Et puis brusquement, un chat passait. La lumière s'éteignait. » Mme Dauzan rit, tout doucement. « Et le couple, dans le lit. Avec des bonnets de nuit. Le réveil sur la table de chevet. Et les vêtements bien pliés sur deux chaises au pied du lit. Un monsieur et une dame, allongés côte à côte bêtement. On attendait. Puis brusquement, entre les rideaux tirés, un. poignard apparaissait puis disparaissait. La lumière s’éteignait: » Tout le monde rit. M. Dauzan se lève. Il sourit. Pour le principe. Dix heures. Dix coups. La maison ne sombrera pas, Sarah, maman a parlé. C'est elle qui a osé.

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